9/10/14 Midi du Librex: Du journalisme après Gaza – rencontre avec Baudouin Loos
Baudouin Loos (Le Soir) en sait quelque chose: on ne peut plaire à tout le monde. A fortiori quand, journaliste, on couvre le « conflit » israélo-palestinien depuis une grosse vingtaine d’années. Alors que la situation n’en finit plus de pourrir à Gaza, une autre bataille se joue ici: celle de l’opinion. Comment conserver son indépendance et son libre-arbitre au milieu des pressions en tous genres? Rencontre avec un journaliste en terrain miné.
Quoi? Midi de réflexion et d’échanges
Quand? le jeudi 9 octobre 2014
Heure? de 12h15 à 14h30
Où? Maison de la Solidarité, 66 rue Coenraets, 1060 Bruxelles
PAF? 5 euros (lunch et boissons compris)
Merci de réserver pour nous permettre de vous restaurer: vlacroix@centrelibrex.be ou 02/535 06 78
Comme toute guerre, celle-ci se joue aussi sur le terrain de la propagande. Peut-on parler ici d’une guerre, d’ailleurs? Ce terme convient-il quand le rapport des forces en présence apparaît aussi disproportionné, dans un cadre presque entièrement défini et contrôlé par une des deux parties?
Aucun mot n’est innocent et si le langage peut se révéler une arme redoutable, il peut aussi servir à endormir, déréaliser, brouiller les enjeux. La bataille de l’opinion publique se gagne à coups d’éléments de langage. Ainsi la formule en forme de chiasme, fournie par le porte-parole de l’armée israélienne, Peter Lerner, et reprise en chœur par les inconditionnels de la politique de l’Etat hébreu ((Par Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LICA), ici. Ou Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des Juifs de France (CRIF), là.)): « Israël utilise ses armes pour protéger ses civils, le Hamas utilise ses civils pour protéger ses armes. » Tsahal, l’armée israélienne, porte la majuscule, et un nom qui pourrait être celui d’une fleur. Tsahal ne bombarde pas : il – elle ? – procède à des frappes ciblées, chirurgicales, et déplore les dommages collatéraux causés par le recours, en face, aux boucliers humains. Tsahal fait des prisonniers, anonymes et par milliers, tandis que si le Hamas capture un soldat, un seul, c’est un kidnapping et le nom de l’otage devient matière première du storytelling.
Légitime défense
Le réel se raconte comme une histoire dont, en scénaristes bien rodés, les communicants israéliens choisissent le titre (« Barrière protectrice »), caractérisent les protagonistes (en face d’eux des terroristes mus par une idéologie mortifère, pas des résistants), déterminent l’élément déclencheur (les roquettes du Hamas, pas le blocus), les péripéties (frappes, trève, rupture, frappes), le climax (l’intervention terrestre), jusqu’au dénouement (la trêve finale qui ne résout rien mais qui permettra de zapper une paire d’années en attendant l’épisode suivant.)
Dans un monde volontiers binaire, où qui n’est pas pour est contre, et inversement, quelle place pour le journaliste? Et quelle demeure sa liberté quand le choix des mots est à ce point soupesé, interprété, connoté? Peut-il prétendre à l’objectivité? A la neutralité? Le choix de la neutralité n’est-il pas, en soi, un parti pris en faveur du statu quo? Autrement dit: la quête d’un pseudo équilibre dans le traitement n’implique-t-il pas la reconnaissance tacite du droit du plus fort? A celui qui se contente d’appeler à la paix dans toutes les langues – en hébreu comme en arabe -, faut-il faire valoir que, quand l’éléphant se dispute avec la souris, choisir la neutralité, c’est choisir le camp de l’éléphant? Et, dans un contexte où l’Etat d’Israël et ses supporteurs travaillent eux-mêmes à nourrir la confusion entre Juifs et Israéliens, peut-on reprendre ce bon mot d’un prédicateur suisse sans être soupçonné d’antisémitisme? C’est-à-dire: excommunié?
Réversibilité parfaite du concept d’idéologie dominante. Là où les uns dénonceront un tropisme général pro-israélien et le recours un peu trop systématique au chantage à l’antisémitisme, les autres se vivent dans une société gangrenée par la haine des Juifs, où les militants pro-palestiniens sont décrits, au mieux, comme les idiots utiles des nazislamistes ((La reductio ad hitlerium est autorisée dans un sens, dans l’autre, c’est dénoncé comme du négationnisme.)). Entre le camp du Bien et celui du Mal, de l’extrême de la gauche aux ultras de la droite, Gaza devient le rendez-vous fantasmagorique du choc des civilisations. Où chacun se voit assigné à un camp. Bon gré mal gré.
Comment, dans ces conditions, ne pas céder à la tentation prudente de l’auto-censure? Quels mots éviter pour ne pas cliver davantage, glisser du registre du rationnel à celui des passions – et risquer de se rendre inaudible. A quelles sources se fier dans ce grand bombardement de propagande et de contre-propagande? Comment rester neutre et engagé? Nuancé mais sans complaisance?
Comment survivre au journalisme après Gaza?
Baudouin Loos couvre l’actualité d’Israël et du monde arabe pour le compte du journal Le Soir depuis 1990. A côté de son travail directement journalistique, il propose sur son blog une vision plus personnelle de l’actualité, avec, à l’occasion, quelques détours par la fiction. Lire par exemple cette interview imaginaire de Benyamin Netanyahou sur le bloc-note de Baudouin Loos – les blogs du Soir.