20/10/2010 – Céline Verbrouck
Céline Verbrouck est avocate au Barreau de Bruxelles et présidente de l’asbl INTACT.
Enfants sorciers : quelle protection ?
1. Présentation d’INTACT
Intact est un point d’appui juridique spécialisé dans les violences dites « culturelles » (mariages forcés, crimes d’honneurs, mutilation génitale féminine (MGF), etc).
Ses missions sont :
1) Fournir des premiers conseils juridiques à toute personne (particulier, professionnel, institution).
2) Développer des outils pour aider les professionnels confrontés à ces types de violences (modèles de procédures, source de documentation, fiches techniques et brochures sur des sujets comme le secret professionnel, le droit pénal, les possibilités de médiations, le droit d’asile, etc).
3) Participer aux débats politiques tant au niveau national qu’international.
2. Le cadre légal en Belgique de la protection des victimes de violences dites « culturelles »
2.1 La protection vis-à-vis de l’existence de ses pratiques en Belgique
Deux remarques :
1) Avant toute chose, il faut garder à l’esprit que les violences dites « culturelles » sont des formes de maltraitance au même titre que d’autres violences psychiques (harcèlement, etc.) ou physiques (coups et blessures, meurtre, etc.) et qu’elles sont, à ce titre appréhendées par notre code pénal.
Dès lors, les moyens d’actions classiques sont ouverts tels que plainte, constitution de partie civile, action directe, procédure devant le tribunal civil ou le tribunal de la jeunesse, secteur de l’aide à la jeunesse, …
A noter qu’INTACT s’est réservé dans ses statuts la possibilité d’agir éventuellement en justice (sous réserve de la recevabilité de l’action). Nous avions à l’esprit par exemple l’hypothèse d’une fillette qui pourrait décéder en Belgique des suites de son excision et pour laquelle il n’y aurait pas d’autre partie civile.
2) La protection effective des personnes est en pratique rendue difficile en raison de la difficulté de détection des violences dites « culturelles ». Trois motifs essentiels à ces difficultés :
– Le caractère tabou et clandestin des pratiques (souvent intrafamiliales)
– La méconnaissance de tous les intervenants par rapport à ces pratiques (le policier, l’enseignant, le travailleur social, le juge, etc.).
– Le fait que le praticien est souvent subitement désorienté par les « aspects culturels » de ces pratiques.
2.2 La protection vis-à-vis de l’existence de ses pratiques à l’étranger
C’est dans ce cadre que s’inscrit le droit d’asile. (A noter qu’à côté du droit d’asile, il existe une faculté de solliciter parfois un titre de séjour pour des motifs médicaux ou humanitaires qui font l’objet de procédures spécifiques).
La définition du réfugié date de la Convention de Genève de 1951. Il s’agit d’une personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de :
- ses opinions politiques
- sa race
- sa religion,
- sa nationalité
- son appartenance à un certain groupe social.
Après des développements de la jurisprudence, de la doctrine et l’élaboration de lignes directrices du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), il est aujourd’hui admis sur le principe que la crainte de persécutions comme enfant sorcier, d’une MGF, d’un crime d’honneur, d’un mariage forcé peuvent entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et donc donner droit, dans certains cas, à l’octroi du statut de réfugié.
Cela, même si la violence est locale ou intrafamiliale (conflit privé). Il faut regarder la capacité de l’Etat étranger à protéger efficacement la personne menacée quand bien même il existerait une loi pénale réprimant ces pratiques dans le pays considéré, de même que des ONG locales luttant contre ces pratiques. On aperçoit déjà la nécessité de documenter et d’argumenter chaque situation au regard de cette question.
Le droit d’asile est avant tout une question de preuve. La charge de la preuve repose en principe sur le candidat réfugié. S’agissant de personnes particulièrement vulnérables, la charge de la preuve est toutefois partagée avec les autorités d’asile, voire en théorie presque renversée si le demandeur d’asile démontre qu’il a déjà été persécuté.
L’analyse se fait « au cas par cas » par les autorités d’asile. En Belgique, il s’agit du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) et, en cas de recours, du Conseil du Contentieux des Etrangers (CCE).
En pratique, la procédure d’asile est une procédure extrêmement exigeante lors de laquelle le doute profite rarement au demandeur à qui il est généralement demandé de prouver :
– en général :
- l’existence de l’existence d’enfants sorciers, de MGF, mariages forcés, crimes d’honneurs dans son pays d’origine ;
- l’incapacité de son Etat à protéger les victimes de ces pratiques.
– en particulier :
- le fait que la personne craint elle-même d’être victime de cette persécution (pour elle-même ou un membre de sa famille).
Si, en principe, un candidat réfugié n’a pas besoin de documents pour pouvoir être reconnu réfugié (les autorités d’asile peuvent se satisfaire de déclarations cohérentes et crédibles), en pratique, la parole du candidat réfugié a de moins en moins de poids. Nos pays craignent des fraudes et des abus de procédure.
Cela entraine deux conséquences négatives :
1) Il devient déterminant de documenter chaque dossier d’asile:
– tant sur le plan objectif : article de presse, études internationales, rapport médical de constat d’excision ou d’intégrité, …
– que sur le plan subjectif : témoignages, attestations médicales et psychologiques,…
Le travail en réseau, dans le cadre du secret professionnel partagé, est très utile pour détecter, orienter et aider les candidats réfugiés.
2) Incidence des faux documents ou des fausses déclarations : ils peuvent entraîner la perte totale de la crédibilité du demandeur aux yeux des autorités d’asile.